Un roi pour tous les gouverner ft. Marya Khalski

Il avait passé la journée avec une vieille dame désireuse de faire languir son ex-mari. C’était habituel chez les couples fraichement divorcé de jouer à ce jeu de la revanche, comme s’il fallait tout faire pour faire regretter à l’autre d’être parti sans demander son reste. C’était une sorte de revanche amère et maladroite et Addoth, avec son physique inquiétant, avait plus fait peur au pauvre homme qu’autre chose, lorsqu’ils s’étaient tous les trois malencontreusement croisés à un brunch organisé par une connaissance commune. Mais l’homme n’avait rien dit ni rien fait qui aurait pu mettre sa cliente dans l’embarra et s’était contenté de l’escorter, accueillant avec joie son agréable compagnie. C’était une vieille femme cultivée et avec beaucoup de savoir vivre, comme il n’était plus permis d’en côtoyer. Etrangement, du fait de ses manières, elle lui avait un peu fait penser à sa défunte grand-mère, mais en plus jeune. Il avait donc passé la journée avec elle de bonne grâce, profitant discrètement du monde extérieur qui lui manquait tant. Elle avait dépensé sans compter, probablement fortunée outre mesure, pour qu’il l’accompagne un peu partout et réponde a ses désirs de vieille femme, puis, le soir venu, après un copieux diner dans un restaurant hors de prix elle l’avait raccompagné au Beautiful Night et n’avait pas tarit d’éloges sur son comportement devant son manager. Il avait semblé satisfait et si c’était le cas, Addoth l’était aussi. Alors, après un dernier sourire amical et un baise-main tout à fit galant, l’homme avait quitté la riche dame et était retourné dans ses quartiers.

Ses quartiers, c’étaient plutôt des dortoirs, au sous-sol. Un endroit qu’il partageait avec une foule d’autres personnes, et qui ne procurait pas le moindre sentiment d’intimité. Avec le temps, il avait appris à vivre avec et s’était même bâti ses propres murs, mentalement, pour s’assurer un peu de calme et de sérénité. Machinalement, il se dirigea vers les douches. Cette bonne femme l’avait touché un peu partout et comme à chaque fois, il se sentait sale et avait besoin d’enlever toute cette crasse s’il voulait dormir paisiblement. Ce fut toutefois une douche rapide, quasiment militaire, comme il le faisait depuis tant et tant d’année désormais. Il se vêtis d’un simple pantalon de pyjama et, sa serviette humide dans les bras, il se dirigea vers son lit. Tout aurait pu parfaitement se passer si une boule d’énergie ne l’avait pas heurté. Il ne bougea pas, mais s’arrêta brusquement et toisa la jeune femme qui venait de le heurter. « Eh, regarde ou tu vas, d’accord ? » Il n’était pas agressif pour un sou, mais comme à chaque fois qu’il parlait, il donnait la désagréable impression de bougonner contre les gens. Beaucoup avaient d’ailleurs tendance à l’éviter à cause de ça, à croire qu’il en devenait presque effrayant. Ce qui, mentalement, avait le don de l’agacer. Les gens étaient un peu trop hâtif de jugement à son goût. Mais au moins, comme ça, il était tranquille et n'avait pas à s’encombrer d’amis ou d’ennemis.

Addoth n’était pas du genre à jouer les grosses brutes. En fait, avec son passé de militaire, il avait appris la compassion et le respect de chacun, même s’il avait été élevé à la dure. Ce qui faisait que derrière son physique peu engageant, il n’en demeurait pas moins plutôt sympathique, lorsqu’il prenait le temps de faire la conversation à d’autres. En fait, sans son caractère d’ours mal léché, il aurait probablement été quelqu’un de très sociable et surtout de très agréable ! « Oh excuse-moi. » L’intéressé hocha doucement la tête pour faire comprendre que c’était déjà oublié et se recula d’un pas, pour laisser à la jeune femme un peu plus d’espace. « Je suis parfois tête en l’air enfin surtout en ce moment. » Ça, il pouvait le comprendre. Derrière les projecteurs, les somptueuses créature du Beautiful Night pouvaient enlever leurs strass et redevenir les personnes craintives et torturées qu’elles étaient réellement, il haussa doucement les épaules avant de répliquer « Aucun soucis ! » Puis, l’autre lui tendit la main. « Marya. » Voilà un bout de femme bougrement poli et il apprécia. Il s’empara donc de sa main pour la serrer brièvement et poliment. « Addoth. » Il marqua un temps d’arrêt alors qu’il lâchait la main de Marya et reprit presque immédiatement « Tu es arrivée récemment si je ne dis pas de bêtises, non ? » En fait, il le devinait au fait qu’elle ne le connaissait pas. Ça aurait pu paraitre arrogant mais c’était plutôt la triste vérité, au Beautiful Night, le tatoué était facilement repérable parmi le personnel et il avait tendance -bien malgré lui- à marquer les esprits. Si elle ne le connaissait pas, cela voulait donc probablement dire qu’elle était arrivée depuis quelques jours. Peut-être quelques semaines, mais pas plus.

Il n'y a pas grand monde à cette heure-ci dans les dortoirs et ils sont encore moins nombreux à dormir. Ici, les gens ont plutôt tendance à se reposer le jour et vivre la nuit que l'inverse. C'était un rythme à prendre, rien de plus. "Je suis enchantée et ravie de faire ta connaissance Addoth." Il fait un bref signe de la tête à l'intéressée. Il n'avait jamais été trop doué pour les conversations banales et espérait qu'elle ne lui dise qu'elle était occupée pour qu'il retourne à ses priorités, c'est-à-dire dormir. "Oui en effet je suis là depuis quelques jours, je ne compte pas sinon je vais devenir folle. Et toi ?" Elle ressentait visiblement le besoin de papoter et Addoth, bien qu'un peu étonné que quelqu'un veuille lui adresser la parole alors qu'il avait d'ordinaire l'air si peu engageant, se refusa de l'interrompre. Si elle voulait discuter, il n'allait pas l'envoyer bouler. « Quelques temps déjà. ». Il ne faisait pas encore partie des meubles, mais avait parfois le sentiment que cela ne tarderait pas à arriver. Heureusement ses tatouages lui permettaient de conserver un air jeune, le rendant quasiment impérissable pour les clients. "Ne restons pas debout allons nous asseoir." Visiblement il ne s'était pas trompé en affirmant que Maya avait besoin de s'exprimer un peu. Il hocha donc à nouveau très brièvement la tête et fit signe qu'il la suivait. Il lui emboîta donc le pas et alla s'asseoir à son tour. Il n'avait pas l'air très fin, en pyjama, à faire la conversation à quelqu'un, mais parfois, juste discuter, ce n'était pas si nul que ça pouvait le paraître. « Tu finiras par t'habituer à tout ça. » De toute façon, elle n'avait pas vraiment le choix. Soit elle s'y habituait, soit on l'y forcerait. Et la contrainte n'avait rien de délectable ici.

"Depuis quelques temps, ce n’est pas trop long j’espère ?" Addoth balança doucement la tête avant de hausser légèrement les épaules. Il avait un peu arrêté de compter avec le temps tant et si bien que désormais, il n'était plus sur de rien. Un an ? Deux ans ? Dix ans ? Mille an peut-être ? Ici, les jours pouvaient être longs ou au contraire, très court. Il fallait être capable de ne pas perdre la notion du temps et pourtant, c'était ce qu'il avait fini par faire. "Je ne saurais trop le dire." Et c'était la vérité. S'il était venu ici de lui-même pour échapper à de gros problèmes, reniant son passé par la même occasion, il était incapable de dire depuis combien de temps. "Je ne sais pas, je suis ici de force, je n’ai rien demandé, ce n’est pas ma vie, pas ce que j’ai rêvé en tout cas, loin de mes rêves, loin du cœur." Addoth hocha doucement la tête. Personne dans ces murs ne s'était imaginé devenir... Ça. C'était absolument malheureux mais c'était comme ça et ils n'avaient pas le choix. Tous devaient assumer la conséquence d'un acte qui les avait guidé jusqu'ici, qu'ils en soient conscient et consentants ou non. Soupirant doucement et essayant de se faire pédagogue alors qu'il ne l'était que très rarement, le tatoué argua doucement "Quelqu'un ici m'a dit un jour :Dieu ne nous abandonne pas, il teste simplement notre foi en lui. Et bien que je ne sois pas franchement croyant, je crois que cette personne avait raison dans un sens. Nous sommes des êtres courageux et nous ressortirons de cette épreuve grandit et puissants." Ou les pieds devant. Mais c'était une option qu'il refusait tout bonnement d'envisager. "Tu avais peut être autre chose à faire que de m’écouter ?" De nouveau Addoth haussa les épaules. Il était bien vrai qu'il n'avait jamais eu dans l'idée de faire la conversation avec quelqu'un après une journée aussi remplie que la sienne mais il n'en était pas spécialement gêné pour autant. "Actuellement, non. Et toi ? Tu courrais bien pour aller quelque part non ?" Pas qu'il soit curieux, mais il préférait éviter de la retenir si elle avait mieux à faire.